La semaine dernière fut particulièrement intéressante pour le futur de la distribution des films étrangers en France avec deux exemples précis et concrets qui ont démontré l'émergence de nouveaux modèles qui constituent une chance pour le spectateur que nous sommes de voir des films romantiques qui ne seraient jamais sortis en France de manière traditionnelle. Explications.
La distribution traditionnelle d'un film étranger en France.
Avant de démontrer en quoi ces nouveaux modes de distribution sont novateurs, il faut avant tout expliquer comment un film étranger se retrouve sur les écrans français. Au centre de tout, il y a le distributeur. Comme son nom l'indique, c'est lui qui choisit, selon des critères artistiques, financiers, commerciaux, les films qui arriveront en France en négociant et achetant les droits auprès des producteurs du film. En somme, le distributeur paye les producteurs pour s'assurer l'exclusivité de la sortie du film sur un territoire donné et pour une période donnée. En France, ils s'appelle UGC Distribution, Paramount France, Warner Bros etc. Il en existe des gros et des plus petits, des affiliés à des studios et des indépendants. Mais ce sont ces distributeurs qui décident des films qui seront à l'affiche des cinémas français.
Déjà, la première limite de ce système est assez visible. On dénombre environ 5000 films produits dans le monde par an et 600 films environ qui sortent en France au cinéma sur la même période, soit à peu près 15%. Ces 600 films sont donc choisis pour vous par les distributeurs dont l'objectif est de se dire "J'ai aimé ce film, il faut donc que le public français le voit et que je gagne un peu d'argent dessus en retour." Je ne vais pas revenir sur le fait que les distributeurs ne sont pas forcément les plus à même d'estimer de la qualité d'un film romantique étranger mais ce qu'il faut retenir, c'est qu'à la base, un choix est fait pour vous.
La France (et la Belgique francophone) est en plus un territoire un peu particulier puisque les deals de distribution des films étrangers la considèrent comme un territoire à part, du fait de la "puissance" de la langue française qui force le doublage en français des films projetés en France. Le doublage étant plus coûteux que des sous-titres, cela pose à terme des problèmes de rentabilité. Un exemple parmi tant d'autres avec la non-sortie de "Safe Haven" en France cette année alors que celui-ci est sorti en Belgique (flamande, en version originale avec uniquement des sous-titres), aux Pays-Bas, en Allemagne, en Espagne et en Angleterre, toujours en version originale avec sous-titres pour les pays non-anglophones. Les producteurs de "Some girl(s)" dont nous allons reparler dans cet article ont déclaré avoir été approché par un distributeur pour une sortie typique dans dix marchés dans le monde. Je suis prêt à parier que la France (et l'Europe francophone) ne faisait pas partie de ces dix marchés.
Une fois les droits de distribution achetés, la période de marketing/doublage/négociations avec les exploitants de salles pour maximiser l'exposition du film commence et celle-ci peut-être très longue. Souvenez-vous de "Jane Eyre" sorti en France près de 500 jours après sa sortie aux Etats-Unis ou en Angleterre par UGC Distribution qui ne savait pas comment le vendre, à quel moment le sortir. Ou bien, encore eux, UGC Distribution qui a gardé "Take this waltz" dans ses cartons pendant près de deux ans, repoussant sans cesse sa sortie cinéma pour finalement le sortir en DVD en mai 2013. Ces aspects marketing ne concernent pas les spectateurs que nous sommes mais pourtant nous les subissons. L'autre problème est la polarisation des sorties de "petits" films dans les grands centres urbains (Paris pour n'en nommer qu'un), laissant les autres dans des déserts cinématographiques faits de "Boule et Bill" à l'affiche pendant deux mois.
Tous les films méritent-ils une sortie au cinéma ?
C'est une question à poser et en ce qui me concerne, non, tous les films ne méritent pas une sortie au cinéma, surtout quand ce sont des films romantiques. Non pas parce qu'ils ne sont pas assez bons pour être vus sur grand écran mais parce que le grand écran n'apporte aucune valeur ajoutée à leur visionnage. Alors qu'un blockbuster bénéficie vraiment d'un grand écran et de sons vrombissants, un film romantique se regarde bien mieux chez soi avec l'élu(e) de son coeur sous une couette bien chaude. Ne mentez pas, vous savez que c'est vrai.
C'est d'autant plus rageant qu'une sortie ciné est généralement le premier pas nécessaire vers une sortie DVD/VOD de qualité. En France, la sortie ciné est le Graal ultime, même pour des films qui sortiront dans 3 pauvres salles en France. Les films Direct-to-DVD ou Direct-to-VOD existent mais il s'agit ici de films catastrophe ou films d'horreurs, et plus rarement de films romantiques, qui se vendent d'ailleurs moins bien en DVD que les genres sus-cités. Pas assez bankable pour être choisi par un distributeur ou pour sortir dans un nombre élevé de salles, le film romantique étranger reste donc aux portes de la France pendant de longs mois voire années dans l'attente d'une sortie qui ne viendra peut-être jamais. Mais voilà qu'avec le développement de l'Internet haut-débit, les solutions pour parer à ce genre de frontières se multiplient.
Le modèle "Payez ce que vous voulez".
J'ai tendance à penser que le secteur du jeu vidéo PC est un laboratoire qui permet de prédire le développement du secteur du cinéma. Prenez l'exemple de Kickstarter, utilisé à la base pour financer de nombreux jeux vidéo PC pour plusieurs millions de dollars avant que "Veronica Mars" ne déboule, démocratisant cette pratique auprès du grand public qui remit la main à la poche quelques semaines plus tard pour financer le nouveau film de Zach Braff.
Une tendance relativement nouvelle dans le jeu vidéo est celle du "Payez ce que vous voulez", que l'on retrouve pour des packs de jeux PC, à l'image du Humble Bundle. Le principe est simple : vous pouvez acheter un pack de jeux vidéo au prix que vous le souhaitez et répartir cette somme entre les développeurs de jeux et des associations caritatives. Si vous voulez donner 1$ pour 5 jeux, c'est possible. Si vous voulez en donner 100$, c'est possible aussi. Ce système est devenu incontournable pour le jeu vidéo.
Dans le domaine du film, c'est encore très marginal mais cela existe quand même, comme le prouve "This time tomorrow" dont nous avons publié notre avis la semaine dernière sur le site. Dans son interview, le réalisateur explique que le marché du film indépendant romantique est tellement restreint qu'il ne se retrouvait pas dans un deal traditionnel avec un distributeur. D'où l'idée de mettre le film en vente directement auprès des internautes qui y mettront le prix qu'ils veulent. Les droits pour les territoires ne s'appliquent pas, il s'agit d'un deal directement du producteur vers le spectateur, sans intermédiaires.
Le producteur touche la totalité des revenus de la vente de son film contrairement à un deal classique où il cède les droits de son film contre une somme. De plus, cela a un avantage de taille par rapport à une sortie classique au ciné : il n'est pas tributaire de la pression des petits films au ciné qui doivent impérativement faire le maximum d'entrées en première semaine pour espérer être encore là pour une deuxième semaine. Il peut engranger 5$ par ci, 5$ par-là, sans contraintes de temps, juste en attendant que le film trouve son public. Ce système vient avec quelques limites dans ce cas. Le film est livré tel quel, sans sous-titres français, et en fichier numérique. L'achat d'un DVD est possible dans le cas de "This time tomorrow" cependant mais avec des frais pour l'envoyer en France. La question de la visibilité est posée puisque pour se vendre, encore faut-il savoir que le film est disponible sur Internet. Pourtant, malgré ces limites, le résultat est là : ce bon film, qui ne serait jamais sorti au ciné ou en DVD en France, est disponible chez nous, légalement. En cela, c'est déjà une avancée fondamentale vers une nouvelle forme de distribution.
La sortie mondiale en VOD.
Si "This time tomorrow" était un film indépendant quasi-fauché, "Some girl(s)" possède lui quelques têtes d'affiche comme Adam Brody, Zoe Kazan, Kristen Bell etc. C'est donc un film qui aurait eu toute sa place au ciné, voire même en France, même s'il serait probablement sorti en DVD uniquement. Pourtant, les producteurs en ont décidé autrement en passant par la nouvelle plate-forme de vidéo à la demande mise en place par Vimeo.
Ce vendredi 28 juin 2013, "Some girl(s)" est donc sorti mondialement sur Vimeo on Demand, en s'affranchissant totalement des distributeurs traditionnels. Le film dispose de sous-titres français, allemands, italiens, etc et est dispo à la location (5$ - 4€) ou en téléchargement direct (10$ - 8€) sur Internet. Cela n'est pas forcément visible au premier abord, mais c'est une entaille profonde dans le modèle traditionnel. "Bachelorette" avait tenté le même coup l'an dernier (avec succès) mais en sortant uniquement sur le territoire américain en VOD. Ici, c'est une sortie mondiale, totale, sans limite de territoires, légalement et sans problèmes de droits. La plate-forme marche, elle est reconnue par le plus grand nombre assurant ainsi une bonne visibilité au film qui essuie ici les plâtres d'une nouvelle méthode de distribution directement des producteurs vers les spectateurs. Pas d'attente interminable, le film est disponible pour tout le monde, tout de suite, légalement. Vertigineux. Il est encore trop tôt pour savoir si c'est un succès rentable pour les producteurs mais la machine est lancée.
Le futur de la distribution de films.
A la lecture de cet article, on pourrait croire que les distributeurs de films sont une espèce en voie de disparition mais ce n'est pas le cas. Ces nouveaux modes de distribution ne s'adressent qu'à des catégories bien spécifiques de films à petit budget qui peuvent assez facilement rentrer dans leurs frais via de telles méthodes, et qui ne seraient de toutes façons jamais sortis en France. Ce sont des modes complémentaires qui permettent de ne pas laisser entre les mains des distributeurs seuls la décision des films qui seront disponibles en France et entre les mains des exploitants les nouveaux films que vous pourrez voir dans votre ciné. En cela, c'est déjà une immense victoire pour les spectateurs que nous sommes. Comme tout modèle balbutiant, ils devraient vite trouver leurs marques et proposer à terme une offre concurrente pléthorique et (potentiellement) de qualité.
A lire dans le même registre :
- La VàD est-elle dangereuse pour les sorties de films romantiques en France ?
- 10 nouveaux films romantiques snobés jusqu'à présent par les distributeurs français.
Partager cet article...
Écrire commentaire
Com01 (mardi, 02 juillet 2013 10:39)
Article très intéressant et très complet !
L'offre de vente directe au consommateur est en effet une tendance de fond qui se développe de plus en plus. Le site VHX.com, plate-forme de distribution de films indé direct au consommateur, vient d'ailleurs de lever plus d'un million de dollars via une plate-forme de crowdfunding.
Mais si ces initiatives sont top pour les cinéphiles, le problème reste la barrière de la langue. Si je ne souhaite pas laisser les distributeurs décider pour moi, je suis tout de même tributaire du service de traduction qu'ils apportent. Pour les amateurs, l'anglais ne devrait pas poser trop de problèmes, qu'en est-il des autres langues ?
FilmsdeLover.com (mercredi, 03 juillet 2013 13:35)
En effet, la barrière de la langue est celle qui va être la plus compliquée à franchir. Mais l'obtention de sous-titres français ou anglais est beaucoup moins chère (et donc plus rentable) qu'un doublage en bonne et dure forme donc je ne m'inquiète pas pour ça, même si à l'heure actuelle, c'est la plus grosse barrière.
Ady (mercredi, 07 août 2013 00:15)
Très bonne analyse!
Je vous invite à découvrir mon film LES FAMEUX GARS qui sortira bientôt en VOD sans un passage au cinéma.
Vous pouvez voir la bande-annonce sur www.lesfameuxgars.com et bientôt vous allez en entendre beaucoup plus! :-)