Quand nous parlons des distributeurs français sur FilmsdeLover.com, c'est généralement pour leur taper dessus. Soit parce qu'ils mettent deux ans à sortir un film romantique que l'on attend impatiemment ou alors parce qu'ils ne les sortent pas du tout. Si nous n'attendons plus rien des grands distributeurs français, nous sommes en revanche beaucoup plus à l'écoute de ce que font les petits distributeurs, ceux pour qui un échec dans les salles peut être synonyme de fermeture pure et simple, ceux pour qui chaque sortie est une prise de risque, mais aussi ceux qui prennent sur eux de sortir des petits films que l'on attend avec impatience. Ceci est l'histoire de l'un de ces films et de l'un de ces distributeurs.
Ce film romantique, c'est "The spectacular now" avec Miles Teller et Shailene Woodley. Retenez bien leurs noms parce que ces deux-là vont exploser dans les années qui viennent et c'est avec "The spectacular now" que tout commence. Si tu ne nous suis pas depuis longtemps, tu ne sais peut-être pas ce qu'est ce film. Tout simplement, c'est une histoire d'amour entre deux jeunes gens de milieux complètement différents. Le point de départ est classique mais ce film n'est pas tout à fait ordinaire. Présenté pour la première fois au festival du film indépendant de Sundance en janvier dernier, il a remporté le Prix du Jury pour ses deux interprètes principaux.
Nous avons l'habitude de dire que le festival de Sundance est le festival-du-film-indépendant-américain-trop-bien-qui-ne-sortira-jamais-en-France. C'est un raccourci facile surtout que ces dernières années, des films comme "Like crazy", "Les bêtes du Sud Sauvage" y ont été couronnés. Seulement voilà, "The spectacular now" porte, à l'instar de "Like crazy" le poids du film indépendant en plus de celui du film romantique sur ses épaules. N'allons pas voir une cabale envers le genre, juste l'amère réalisation que les films romantiques ne sont plus vendeurs, et donc encore moins les films romantiques indépendants.
Mais les très bonnes critiques outre-Atlantique et le relatif succès au box-office américain bien meilleur que ne le laissait supposer sa combinaison de salles plutôt restreinte laissaient espérer une sortie française. Et aucun mouvement de la part des distributeurs français à partir de janvier 2013. Absolument rien. Pas même le frémissement d'un petit emballement. "Les distributeurs savent à quel point c'est difficile de faire exister et de gagner de l'argent avec un film indépendant américain en France donc les gros n'essayent même pas", explique Amel Lacombe, de la société française de distribution EuroZoom. "Ils ont déjà fort à faire avec les blockbusters".
EuroZoom n'est pas un gros distributeur mais c'est lui qui se chargera de distribuer "The spectacular now" en France le 8 janvier prochain. "Je suivais le film depuis Sundance mais je ne l'ai vu que cet été au moment de sa sortie américaine, en salles, comme un spectateur "normal". L'émotion était très forte dans la salle, et j'ai vu que le film parlait à tous, les jeunes adultes mais aussi des gens plus âgés. Comme j'avais adoré le film aussi, j'ai aussitôt contacté le vendeur." Avec une certitude : si le film avait tapé dans l'oeil d'un concurrent, les droits auraient été achetés à Sundance en janvier. Donc le champ était relativement libre.
De l'art (délicat) de négocier des droits...
Acheter des droits. Cela a l'air simple comme ça mais c'est en réalité bien plus compliqué que cela en a l'air. Il ne s'agit pas, pour un distributeur indépendant de poser l'argent sur la table et de dire "Je veux le film". Il faut négocier, à hauteur de ses moyens en gardant à l'esprit que chaque sortie est un risque pour l'entreprise. "C'est compliqué et ça reste notre cuisine ! Un chef ne dévoile pas ses recettes..." élude habilement Amel Lacombe sur la question de la négociation.
Regardons un peu les forces en présence : nous avons un film avec un gros gros buzz outre-Atlantique et un secteur du film romantique indépendant américain moribond en France. En janvier dernier, "Le monde de Charlie", précédé d'un buzz un peu moins fort mais avec d'excellentes critiques et un distributeur plus "puissant", SND en l'occurence, n'a rameuté que 85 000 spectateurs en France. La demande est moins importante que l'offre donc il y a fort à parier que le prix demandé au départ était assez élevé, trop élevé sans doute pour EuroZoom qui a problement dû vouloir négocier. Entrent alors en scène les réseaux sociaux et Twitter en particulier.
Les réseaux sociaux, un moyen de quantifier la demande...
Comment évaluer la demande pour un film et ainsi légitimer une dépense pour ses droits ? Simple, en allant sur les réseaux sociaux. Le 4 septembre 2013, Amel Lacombe poste un tweet enigmatique sur "The spectacular Now".
hé twittos, vous en pensez quoi de THE SPECTACULAR NOW avec MILES TELLER (PROJET X, ) SHAILENE WOODLEY (THE DESCENDANT) ? BUZZ ? :) ou :( ?
— EUROZOOM (@AmelEUROZOOM) 4 Septembre 2013
Pour être tout à fait honnête, je n'ai pas compris ce tweet, je n'ai pas compris son but initial. Quand un distributeur parle publiquement d'un film en général, c'est qu'il en a déjà obtenu les droits. Dans le cas contraire, il fait sa tambouille dans son coin et essaye de rester discret le temps des négociations. Mais Amel Lacombe doit voir si "The spectacular now" a le potentiel de réunir les foules dans les salles de cinéma dans un contexte économique difficile. D'où un autre série de tweets, toujours aussi énigmatiques, pour faire monter la sauce autour du film, en s'appuyant également sur les communautés françaises (naissantes) de fans de Shailene Woodley et de Miles Teller, les deux interprètes principaux du film.
Une stratégie radicalement différente de ce que pratiquent les autres distributeurs mais qui a son importance comme le note Amel Lacombe. "Plus nous avons de fans pour un film sur les réseaux sociaux plus ça nous aide a convaincre les salles. C'est très important. Comment expliquer que le public attend un film quand le compteur de la page Facebook n'atteint pas les 100 J'aime ! Le moindre petit film de majors en a des milliers. Alors oui, les fans jouent un rôle très important et ils doivent faire monter la sauce s'il veulent que ce type de films sorte plus largement et sorte tout court d'ailleurs !" On pourrait arguer que le nombre de fans d'une page Facebook n'est pas en corrélation avec son nombre d'entrées au cinéma, surtout que la plupart des films de majors ont des équipes marketing ou engagent des sociétés spécialisées qui n'hésitent pas à utiliser des tactiques "sales" (et moins sales aussi, ne généralisons pas) pour attirer du fan en nombre.
Tout est fait main chez EuroZoom, surtout les réseaux sociaux. "On se refuse à déléguer ça a un community manager externe", continue Amel Lacombe. "On fait tout maison car il nous semble important de communiquer vraiment ce qu'on pense. Même quelques fois sur des sujets autres. Cela énerve quelques fois mais on essaye d'être sincères et concernés. Nous sommes une très petite entreprise citoyenne bossant dans le milieu culturel, il est donc normal que l'on donne parfois des avis citoyens sur ce qui nous parait important." Cela ne se fait pas non plus sans heurts, notamment avec certains fans (comme moi-même, ayant eu ma part d'escarmouches amicales avec Amel sur Twitter, notamment sur "The spectacular now" et justement parce que je n'étais pas habitué à cette façon de vendre son film.)
"Pour des "vieux" comme nous, ce qui est très dur à supporter, c'est le niveau d'insultes et de goujaterie de certains fans. Dès qu'on exprime un point de vue différent ou un désaccord, ils "se lâchent" avec une violence ! C'est effarant. On en a fait l'expérience hélas avec "Imogène" et "Struck" [Ndlr : deux films sortis cet été par EuroZoom en 2013] et le niveau d'insultes atteint a été vraiment aussi effrayant qu'injustifié. Heureusement la grande majorité des fans sont adorables ! Certains nous ont même apporté des chocolats au bureau ! Si c'est pas cool ça !"
Mi-septembre, EuroZoom annonce finalement qu'ils distribueront "The spectacular now" en France. La mobilisation des fans a-t-elle finalement pesé dans les négociations ? Cela fait malheureusement partie de la recette du chef qui ne sera pas partagée.
Les relations avec la presse et les blogs ciné...
Exister dans le milieu du ciné quand on est un petit distributeur indépendant, c'est compliqué. Des dizaines de films se bousculent chaque semaine dans les salles françaises et sans promotion active en amont, point de salut. Comment se faire entendre dans les médias dans ces conditions ? "Les médias sont hélas comme le public et les salles, ils écoutent celui qui parle le plus fort. Heureusement on a encore une belle presse critique en france qui peut s'enthousiasmer pour des films indépendants. Ça ne fait pas toujours des entrées mais c'est déja bien agréable ! Pour "The spectacular now", les réactions de la presse sont excellentes. Studio Ciné Live est partenaire du film, notamment."
Quid des blogs ciné dans ce cas ? Certains ont une visibilité quasiment aussi importante que des revues ciné et peuvent aussi être une aide précieuse pour attirer l'attention du public sur un film. "C'est quelque chose qui, pour nous autres indépendants, est assez compliqué a gérer encore. Les majors prennent des agences de communication externes pour gérer les blogs, comme on gère de la pub. Nous, nous pensons qu'il faut les gérer comme des cinéphiles, par un contact direct et moins mercantile. Mais là ou ça se complique, c'est qu'il y a un nouveau blog quasiment tous les jours. C'est pas encore très simple pour nous. Il y a bien le club 300 AlloCiné [Ndlr : Club de 300 blogueurs qui voient des films en avant-première et donnent ou non leur label "qualité". Nous en faisions partie mais plus maintenant.] mais tout ça se cherche encore a mon avis."
Y-a-t-il encore un public pour ce genre de films romantiques en France ?
C'est peut-être la question qui m'intéresse le plus dans tout ça. Depuis cinq ans que nous faisons ce site, la question du public français de films romantiques est forcément centrale, dans la mesure où pour une comédie romantique qui triomphe au box-office, une vingtaine d'autres se plante. "The spectacular now" est un film romantique indépendant américain avec deux têtes d'affiches peu connues. Peut-il vraiment trouver son public ? Et qui est ce public au final ? "Je pense que lorsqu'un film a des qualités comme "The spectacular Now", il y a un public. Le problème c'est de toucher ce public et de le faire venir en salles dès la 1ere semaine, au milieu de vingt autres sorties, et de dizaines de blockbusters à l'affiche !" explique Amel Lacombe. "Peu nombreux sont les distributeurs indépendants qui investissent sur ce type de film. Nous le faisons car nous sommes persuadés de l'importance de montrer aux "young adults" des films indépendants. Les franchises de super héros c'est très bien, bien sûr, je ne dis pas le contraire, mais ce sont des films avec un budget colossal, des machines de marketing. On ne peut pas résumer le cinéma et la création à cela. Si les plus jeunes ne vont plus voir que ce genre de films, nous n'aurons plus de public dans quelques années."
Miser sur les qualités intrinsèques d'un film, espérer que le public vienne le voir, espérer aussi que les salles le diffusent, voici les préoccupations d'une petite société de distribution comme EuroZoom. Le risque financier est réel et omniprésent. "Je suis à la fois très heureuse que le film sorte grâce à nous mais aussi très paniquée car c'est en effet un gros risque et le marché est très dur en ce moment."
Le film doit sortir dans quelques semaines. Quelles sont les prochaines étapes avant sa sortie ? "Il y en a beaucoup encore ! Le sous-titrage c'est fait. Nous ne ferons pas de version française car cela nous coûte trop cher par rapport au peu de salles qui la prennent. Nous travaillons avec la presse, nous achetons des campagnes radio, presse, affichage. Nous essayons aussi de monter une avant-première avec les acteurs du film mais ce sont des mois de négociation et ce n'est pas simple. Nous travaillons également sur la programmation salles et plus nous aurons de likes, plus vous nous aiderez à montrer que le film est attendu !" conclut Amel Lacombe.
Le like Facebook comme moyen de "pression", voilà une donnée à désormais prendre en compte malgré tout ce que cela suppose de problèmes inhérents aux réseaux sociaux. Toujours est-il qu'un an donc après son premier passage à Sundance et trois petits mois seulement après sa sortie américaine, "The spectacular now" sortira en France grâce au pari d'un petit distributeur. C'est de plus en plus rare donc autant en profiter.
"The spectacular now" sort dans les salles françaises le mercredi 8 janvier 2014.
La suite de cet article : "Pourquoi "The spectacular now" n'a pas trouvé son public dans les salles françaises".
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Memeu (lundi, 16 décembre 2013 16:22)
Je vous remercie de sensibiliser ainsi vos lecteurs au fonctionnement de l'indé dans l'industrie du cinéma, c'est extrêmement important et on se heurte souvent à beaucoup d'incompréhension et de mépris : pas tout les jours facile de faire vivre la diversité culturelle !
Mais je sais ô combien c'est un sujet difficile à amener, donc merci.
Toutefois, j'ai trouvé que vous n'épargniez pas beaucoup les salles, et représenter une petite salle indépendante qui fait de vrais parti-pris de programmation est au moins aussi important et aussi difficile : nous ne sommes pas tous des multiplexes de grand groupes, nous n'avons pas tous les moyens de programmer tout ce qui sort et encore moins en sortie nationale.
Nous travaillons pourtant tout les jours à défendre des découvertes, à faire marcher le bouche à oreille sur des petites perles, à créer de l’événement autour de leur programmation, parfois contre des distributeurs grands ou hélas même petits qui ne nous font pas de cadeau et qui ne nous font pas confiance.
Nous faisons vivre les films que nous aimons, nous ne les laissons pas "à poil" au milieu d'une vingtaine de sorties hebdomadaires, et chaque salle indépendante à son identité et sa sensibilité de programmation, son réseau d'intervenants ou de partenaires, et possède le savoir faire pour toucher son public.
Nous sommes tous dans le même bateau : essayons de ne pas travailler les uns contre les autres, ne nous trompons pas d'ennemi, travaillons ensemble pour montrer de beaux films qui rendent les gens meilleurs !
FeF (lundi, 16 décembre 2013 19:04)
Vu le film au Canada et c'est effectivement un très joli film qui mérite le succès. J'espère qu'Eurozoom y arrivera et j'encourage tout le monde à se laisser porter par cette jolie histoire.
FilmsdeLover.com (mardi, 17 décembre 2013 07:41)
@meumeu Merci d'avoir pris le temps d'écrire ce commentaire ! La question des salles indés mériterait un article à elle seule donc pourquoi pas à l'avenir. ;)
Personnellement, je suis partagé dans ma perception des salles (indés ou non). Je comprends votre dilemme, entre envie de montrer des petits films et votre obligation de faire rentrer de l'argent en montrant des gros films mais ce que je ne vous "pardonne" pas, c'est de freiner des quatre fers sur la question de la chronologie des médias et la sortie le jour-même en VOD de certains petits films (moins de 20 copies) qui ne passeront de toutes façons jamais dans ma campagne profonde. Cette façon de garder pour la salle des films qui de toutes façons ne sortiront pas partout m'ennuie un peu.
La justification des exploitants est de dire que les gens voudront toujours d'une expérience "cinéma". Pourtant, le fait de ralentir sur ce point précis ne montre une confiance énorme de la part des salles dans cette expérience "cinéma". Donc voilà, il y a de quoi en faire un article complet, pour débattre du sujet. Je vais voir si je peux lier cela aux films romantiques, qui sont quand même le coeur de notre site. ;)