Alors qu'il sort dans quelques semaines en France, "Nos étoiles contraires" a créé l'évènement lors de sa sortie américaine en juin dernier en réalisant de très bons scores au box-office. Comment un film romantique a-t-il pu créer autant le buzz ? Ceci est l'histoire des frères Green et de la lente construction de leur communauté de fans.
La litté YA nouvel eldorado de l'édition et du ciné.
Mars 2005. "Looking for Alaska" sort dans les librairies américaines. Son auteur, John Green, n'a que 27 ans et il s'agit de son premier livre après 5 années passées à travailler pour "Booklist Magazine". De bonnes critiques, des traductions dans d'autres langues, des droits achetés pour le cinéma, le livre se vend pas mal et est même récompensé par le Printz Award en 2006, une récompense remise aux meilleurs livres YA de l'année. Ah oui, autant expliquer le sigle YA parce qu'il va revenir souvent. YA, cela veut dire "Young adult", ou "Adultes jeunes". En gros, ce sont les adolescents en fin de carrière, ceux âgés de 18 à 25 ans qui viennent tout juste de sortir de l'école et qui se cherchent.
Les Young Adults, c'est le nouveau Graal de l'édition littéraire et donc par ricochet des films. Pas un mois depuis quelques années sans son adaptation en film d'un livre YA. "Twilight", "Divergent", "Sublimes créatures" et j'en passe, ces adaptations sont partout et elles risquent de l'être encore un peu tant le succès semble au rendez-vous. Prochainement, ce sera au tour de "Si je reste" et bien d'autres. Mais réduire le succès de "Nos étoiles contraires" à ce seul phénomène ne serait pas rendre compte de l'immense réussite des frères Green. Parce qu'au coeur de tout, il y a une communauté de fans, une communauté qui a pris sept ans à construire.
Brotherhood 2.0, la fratrie passée à la moulinette Youtube.
Fin 2006, alors que John Green vient de publier son second bouquin intitulé "An Abundance of Katherines", lui et son frère Hank décident de se lancer dans "Brotherhood 2.0". A la base de cette idée, l'envie de récréer leurs liens fraternels puisque séparés par la distance, les deux frères ne sont plus aussi proches qu'avant. La règle de l'initiative est simple : pendant un an, ils vont uniquement communiquer par vidéos chargées sur Youtube, pour parler de tout et de rien, des films, des livres, de la vie en quelques sortes. John en poste une un jour, puis Hank en poste une autre le lendemain, ainsi de suite pendant un an.
C'est le point de départ des Vlogbrothers. Pendant un an, ils vont poster leurs vidéos et accroître de plus en plus leur fanbase qui prendra le nom de Nerdfighters. Le discours de la nerdfighteria est assez basique : vivez comme vous le souhaitez, vous êtes incroyable et si possible, essayons de mettre un terme à tout ce qui ne va pas dans le monde. C'est un peu angélique mais ça semble marcher.
La communauté continue de croitre jour après jour, et les deux frères lancent de nouvelles initiatives après la fin de "Brotherhood 2.0" le 31 décembre 2007. On peut citer notamment "The Lizzie Bennett Diaries" écrit par Hank (très gros succès sur Youtube) tandis que John continue de sortir des livres. Les deux frères sont aussi à la tête de plusieurs associations caritatives qu'ils font vivre grâce à des évènements organisés un peu partout en Amérique et par internet lors d'occasions spéciales telles que "Project for Awesome" ou "Decrease the World Suck" qui ont recueilli près de 3 millions de dollars pour l'instant. En outre, ils produisent des vidéos éducatives dans de nombreux domaines : histoire, science, santé, jeux vidéo. Bref, de vrais gendres idéaux qui réussissent à peu près tout ce qu'ils entreprennent.
Difficile de savoir par quelle porte d'entrée la communauté des fans des Vlogbrothers s'est créée : les bouquins de John Green ? Leur initative "Brotherhood 2.0" ? Toutes leurs autres vidéos ? Leurs activités caritatives ? Leurs activités en faveur de l'éducation ? Leurs autres webséries ? Cette communauté disparate se rejoint pourtant sur une chose : leur amour de ce qu'ont créé les frères Green et la façon toute particulière dont ils partagent cela avec le monde entier par le biais de Youtube.
L'engouement autour des livres de John Green ne craint pas l'épreuve du temps, grâce à cette communauté qui se développe et grâce aux vidéos qui rappellent les différentes activités annexes des deux frères. Si vous aimiez les vidéos de Crash Course, peut-être ne saviez-vous pas que l'un de leurs auteurs écrivait des livres, des livres que vous pourriez aimer. Signe qui ne trompe pas, "Looking for Alaska", sorti en 2005, atteint finalement la prestigieuse liste des bestsellers du New York Times en 2012, soit plus de 385 semaines après sa sortie. Un succès sur le tard amorcé dès 2010 selon l'auteur et qui a culminé avec la sortie du livre "Nos étoiles contraires" en janvier 2012 qui atteindra la première place de la liste des bestsellers du NYT dès la première semaine. Et dans la liste des 10 bouquins les plus vendus aux Etats-Unis en 2014, on retrouve les trois différentes éditions de "The fault in our stars" et même "Looking for Alaska". Un succès impressionnant, deux et neuf ans après la sortie des deux bouquins. Les pièces sont en place, la bataille pour le succès du film "Nos étoiles contraires" peut commencer.
"Nos étoiles contraires", le Truman Show de la littérature YA.
Le livre "Nos étoiles contraires" est né devant les caméras, ou plutôt la webcamera de John Green. L'annonce du titre de ce livre fut notamment l'occasion d'une vidéo à l'image de toutes les autres avec ce style direct qui caractérise John Green quand il s'adresse à sa communauté. Le titre original d'ailleurs, "The fault in our stars" est venu de l'un des membres de cette communauté, ce que Green rappelle dans sa vidéo datée du 29 juin 2011.
On y voit déjà l'extraordinaire attente autour du livre, en tête des pré-commandes sur Amazon un an avant sa sortie et déjà affublé d'une centaine de couvertures réalisées par des fans le lendemain de l'annonce. Des fans que John Green chouchoute dès le début en annonçant que les 150 000 premiers exemplaires du livre seront signés par lui-même, histoire de continuer à développer les pré-commandes.
Les vidéos suivantes relatent l'avancée de ces autographes mais aussi l'avancée de la sortie du livre de cinq mois devant l'énorme attente du public. Peu d'auteurs peuvent se targuer d'avoir un tel contact avec leur public et c'est en cela que l'exemple de John Green et l'analyse de ses vidéos sont intéressants, notamment quand celles-ci ont un impact direct sur d'autres livres ou films. Le "John Green bump" est le nom que l'on a donné aux livres dont parle l'auteur dans ses vidéos et qui connaissent immédiatement un boost de popularité sans commune mesure.
Dans les dernières semaines de 2011, John Green annonce la couverture de son livre, lit les premiers chapitres du livre... Bref, il fait monter la sauce. Il y a toujours dans ses vidéos des rappels pour pré-commander le bouquin mais cela n'est jamais vraiment intrusif. Quand une erreur d'envoi permet à des milliers de gens de lire le livre trois semaines avant sa sortie officielle, John Green fait une vidéo pour appeler sa communauté à ne pas dévoiler la fin du film et montre même des photos de personnes ayant décidé de ne pas lire le livre avant la date officielle, pour pouvoir partager cela avec le reste de la communauté.
Et quand le livre sort enfin, c'est la grosse fête avec des centaines de vidéos de personnes se filmant en train d'ouvrir le livre, comme le montre cette vidéo présentée par Hank Green, jamais très loin des bouquins de son frère.
Dès l'annonce du film, John Green en fait partager sa communauté qui pourront suivre quasiment tous les développements du tournage en sa compagnie. Après tout, la communauté connait l'histoire, il n'y a quasiment rien à cacher donc autant les faire participer en leur montrant plein de choses qui leur donneront envie de voir le film dès qu'il sortira.
Donc John Green suit le tournage, tourne des vidéos avec les différentes stars du film et après la fin du tournage montre l'envers de la promo durant les ultimes semaines avant la sortie du film. Entre temps, les VlogBrothers passent la barre du million d'abonnés sur Youtube pendant l'année 2013.
L'importance des réseaux sociaux dans le succès du film. Et ses limites aussi.
Avant la sortie du film aux Etats-Unis en juin 2014, The Wrap publie une infographie qui montre la puissance de la galaxie Green sur les réseaux sociaux.
Et cette communauté n'en finit plus de s'agrandir, alimentée par les fans des acteurs principaux du film qui découvrent à leur tour les Nerdfighters. Cela est amplifié par l'excellente campagne pub menée par Fox, notamment avec un site officiel sur Tumblr où John Green compte notamment plus de 2 millions d'abonnés et qui permet très facilement de partager les innombrables fanarts des Nerdfighters, qui sont republiés à nouveau par d'autres etc. "Nos étoiles contraires" bat même un record, celui du nombre de places de ciné pré-commandées pour un drame romantique, battant le précédent film "The vow - Je te promets".
Avec un budget de 12M$, il lui fallait au moins 36M$ pour rentrer dans ses frais lors de sa sortie ciné. Le premier week-end de sa sortie, il en engrange 48M$ pour terminer sa course aux US aux alentours de 121M$, battant son concurrent, le film d'action "Edge of tomorrow" avec Tom Cruise (98M$ de recettes pour un budget de 178M$). Au niveau mondial, le film a engrangé plus de 127M$ ce qui nous donne fin juillet un total de près de 250M$ de recettes. Un succès monstrueux, ultra-méga-rentable, mais seulement 17ème pour l'instant dans le classement au box-office des adaptations de littérature YA.
La seule limite que je vois à ce système "Green" est que pour la sortie ciné de "The fault in our stars", l'engouement fut très rapide dans les premiers jours (les fans se ruant sur les salles ciné) avant de décroitre par la suite, signe que le film a peut-être eu plus de mal à rassembler bien au-delà de sa fanbase initiale. Il a par exemple fait moins bien que "The Vow" au final sur le territoire américain (121M$ contre 127M$). Cela reste excellent et cette petite limite sera compensée par le temps.
Parce que pour faire très simple, cette communauté est une énorme boule de neige qui descend la pente infinie du succès. Les Nerdfighters augmentent en permanence, gagnent de nouveaux membres au fur et à mesure, rendant chaque initiative des frères Green plus importantes à chaque fois, comme les prochaines adaptations en films des livres de John Green qui, vous pouvez en être certain, débouleront dans les années qui viennent au cinéma. Celle de "Paper towns" a d'ailleurs été annoncée et l'on devrait pouvoir en suivre chaque développement. Les autres devraient suivre dans la foulée et le succès devrait être à chaque fois au rendez-vous. Un bel exemple de gestion de communauté comme il en existe finalement très peu dans le monde de l'édition ou même du cinéma.
Quand on voit le chemin parcouru depuis sept ans par les frères Green, la question qui me vient à l'esprit est : "Nos étoiles contraires" aurait-il pu se planter au box-office ? Et force est de constater que je ne vois pas comment il aurait pu se planter. Peut-être en sous-estimant le poids des Nerdfighters mais les ventes du livre étaient tellement bonnes. Peut-être si le film avait été mauvais, mais l'influence des critiques ciné n'a aucune prise sur ce film. C'est un film fait pour les fans du livre, pour les Nerdfighters et donc tant que leur nombre grossira, le succès sera au rendez-vous pour les frères Green.
Et la France dans tout ça ?
C'est la grosse inconnue qui trouvera sa réponse le 20 août prochain. Si le livre est actuellement dans le Top 10 des livres les plus vendus sur Amazon France, difficile d'estimer la communauté française des Nerdfighters et si elle saura se mobiliser largement lors de la sortie du film. Sur le modèle américain, Fox France a lancé un Tumblr officiel pour le film qui doit recueillir notamment fan arts et autres créations des fans mais tout cela a bien du mal à prendre, avec quelques petites rares photos ici et là.
A celà il faut rajouter une date de sortie française extrêmement tardive (plus de deux mois après celle américaine) qui expose le film à une disponibilité sur les réseaux pirates avant sa sortie ciné, sortie ciné dont on ignore encore si elle sera massive ou sur une poignée d'écrans seulement. Pour contrer cela, Fox a organisé cette semaine des avants-premières un peu partout en France pour jauger l'attente (et aussi se faire un peu d'argent au cas où le film serait dispo sur les sites de streaming avant la sortie française). L'exemple de "Je te promets" en 2012 qui avait attiré seulement 280 000 personnes dans les salles françaises 4 mois après sa sortie américaine (une broutille comparée aux 125M$ du box-office américain) est évidemment dans les esprits.
Mais si sortie française ratée il y a, ce ne sera pas la faute des étoiles mais bien de Fox France qui aurait dû surfer sur l'énorme buzz de la sortie américaine pour le sortir en France à la mi-juin, comme ce fut le cas en Belgique. Les Nerdfighters sont-ils parmi nous ? Verdict dans quelques semaines !
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TitiMerlin (vendredi, 25 juillet 2014 08:19)
Je n'ai pas été (et je ne le suis toujours pas) dans la fanbase de TFIOS mais j'attends quand même avec impatience le film.
En tout cas très bon article !
J'ai jamais regardé une de leur vidéo mais je pense qu'il va falloir que m'y penche dessus !
P. (vendredi, 25 juillet 2014)
Je ne savais que The Lizzie Bennett diaries avait été écrit par une des fréres Green; mais j'ai adoré cette web série.
Je ne suis pas une nerddfighter mais le livre m'a énormément touché, maintenant je suis d'accord avec vous le plan marketing de la Fox pour la sortie française est une catastrophe ! La sortie est trop tardive, il y a énormément d'attente et les fans du livre sont assez présents sur YT, Tumblr etc mais pas en suivant la communauté française du coup c'est trés frustrant de ne pas avoir pu voir le film en même temps que tout le monde, et clairement ça incite au téléchargement, d'autant que la VF va être de mise dans les salles françaises (vive les salles de province !) et que les fans de TFIOS sont nombreux à vouloir éviter le (mauvais?) doublage.
Pour ma part je crois que je préfére encore attendre la sortie DVD US (et donc qq semaines de plus) que voir le film en VF, mais ça c'est un débat pour énormément de films ;)
FilmsdeLover.com (vendredi, 25 juillet 2014 10:30)
TiitMerlin m'a en effet signalé que les avants-premières de cette semaine de TFIOS étaient en VF... La réponse des exploitants de salle à cette plainte est que "c'est ce que le public veut". Cela dépend de quel public on parle bien évidemment... Et on verra bien pour les salles de province, mais je suis assez inquiet sur la dispo du film à travers la France. Bref, on est encore les moins bien servis mais on commence à s'y habituer depuis le temps.
P. (vendredi, 25 juillet 2014 11:11)
En effet cette réponse m'agace au plus au point... Les 2 diffusions en parallèle sont possibles, c'est une question de volonté...
Je n'avais pas du tout pensé à la question de la dispo avant que vous le pointiez, compte tenu du buzz et du succès en libraire il était évident pour moi que le film aurait le même type de diffusion d'un Divergent ou Hunger Games, mais maintenant que vous le dîtes j'ai un peu peur aussi. Les chiffres box office risque de souffrir de cette sortie tardive car le DVD sortira aux US seulement quelques jours après la sortie française.
TitiMerlin (vendredi, 25 juillet 2014 13:01)
Comme dit P. pour certains films, les salles de cinéma font des gros efforts de disponibilité : un de mes cinés à côté a fait pour The Hobbit 4 séances en même temps : VO 2D, VO 3D, VF 2D, VF 3D... donc on n'en demande pas autant pour TFIOS mais au moins VO/VF ça ne tuerait personne (en tout cas pour les cinémas qui font de la VO, ce qui n'est pas le cas de tous).
Aux USA, comme le dit l'article, le film n'a bien marché que sur la 1ère semaine, c'est peut-être pour ça que la sortie en France risque de ne pas se faire partout :/
Emma (lundi, 28 juillet 2014 16:40)
Une des raison pour laquelle le film à eu du succès, c'est aussi qu'il est ultra fidèle au livre (je suis allée le voir en avant première au grand rex). Quand on a lu le livre, on sait que c'est une pépite, il est à la fois extrêmement drôle (oui, les personnages d'Hazel et d' Augustus sont drôles, plein de répartie et d'humour) et extrêmement triste (un des seuls livres qui peut se vanter de m'avoir fait pleurer à chaque lecture, c'est à dire 5 fois). Dès qu'on a lu le livre, on ne peut que attendre le film. Et vu les critiques qu'il a (pas les critiques pro mais les critiques de fans), on ne peut que s'attendre à un bon résultat. Et le film est super bon parce qu'il est fidèle au livre mais sait aussi s'en éloigné quand c'est nécessaire. Après, c'est sur que la communauté internet de John et Hank Green aide beaucoup mais je pense que même sans la promo, le film aurait marché. Bon, il n'aurait pas fait 48M$ en un weekend mais il aurait remboursé sont budgé je pense. Après, c'est un très bon article et j'ai hâte de lire votre future critique sur TFIOS!
FilmsdeLover.com (mercredi, 30 juillet 2014 09:00)
En fait, c'est un tout. Le livre est connu parce que la communauté l'a poussé au début en tête des ventes et par le bouche à oreilles. Ce succès s'est mué en film sous l'influx de John Green etc. Donc c'est vraiment un tout mais au départ, il y a la communauté.
Emmerdeuse21ère (dimanche, 12 octobre 2014 14:45)
Désolé Emma (com.6), mais le film n'est absolument pas semblable au livre. Il y a pleins de scène dont l'importance est capitale à la compréhension de la fin qui ont été supprimé ou remplacé par d'autre complètement superficielles. De plus, je me sens dans l'obligation de contredire l'article (mais il en reste, bien sur, super bien documentée et écrit), Shailene Woodley ne joue pas bien, sont interprétation du personnage de Hazel Grace est plus que catastrophique. Hazel est (dans le livre) une personne qui a les pieds sur terre et Shailene Woodley déforme complètement le personnage en la faisant paraître pour une gourde superficielle.